Interview HASSAN EL HOULALI par Gibus

Vingt-cinq ans à faire du surf une action sociale dans l’authenticité et les valeurs qui peuvent encore régir ce sport, c’est fort ! En 25 ans le surf a changé, mais pas Hassan El Houlali, toujours la même flamme. On était là au début de Surf Insertion, en 1997, témoin de cette aventure audacieuse de mettre à l’eau des gamins que tout coince dans leur quartier enclavé. Le pari de les sortir et les ouvrir à l’océan, aux vagues, de les confronter à plus fort que soi avec une planche de surf plus compliquée à manier qu’un ballon de foot mais pour en tirer un bain de joie sacrément salvateur.

Le pari issu alors d’une rencontre entre Francis Distinguin, DTN à la Fédération Française de Surf et Hassan. «On s’est rencontrés dans un bistro à Bordeaux, il rentrait d’un voyage et moi je savais qu’il y avait quelque chose à faire avec le surf.» Cela a tilté entre les deux et très vite la machine s’est mise en route avec l’énergie combative d’un homme de cœur et le pragmatisme enthousiaste d’un coach sportif. Surf Insertion née, l’association est devenue le relais social de la Fédé et l’est toujours dans son programme de missions sportives. Mais surtout Surf Insertion s’est développé en propre, étendant son action au-delà de son périmètre girondin de départ, « les belles années du début avec le Surf Club de Hourtin et l’ami (parti) Peter Cook».

Avec désormais un corps actif et solidaire de cinq salariés incluant Hassan, Surf Insertion, fort aussi de bénévoles, agit avec une multitude de centres d’animation, dans l’Ouest comme dans le Sud de la France, pour mettre en place ces sorties surf s’appuyant des surf clubs associés, mais aussi en y greffant de l’action environnementale tant utile que pédagogique. Au final, 4500 jeunes chaque année que cet apprentissage ouvre à d’inédites sensations et à un espace de liberté d’un autre genre pour eux. Hassan El Houlali aurait pu lâcher sur tout ce temps ou tenter de répondre à d’autres destinées, mais il est là, toujours à tisser son histoire comme d’autres butinent la terre parce qu’elle donne à manger et nourrit du partage. 

Né en 1959 à Essaouira au sein d’un fratrie de dix, Hassan El Houlali a grandi avec le bruit et le goût de la mer qui balaie ce port marocain. Pour autant il n’est pas devenu surfeur mais tient son profil sportif d’une période de haut niveau en athlétisme sur le 100 mètres. Puis quand, après ses années scolaires à Safi, il choisit Bordeaux pour continuer en fac de sciences humaines, c’est sa passion de la lecture qui le porte vers la «ville des trois M (Montaigne, Montesquieu, Mauriac)».

La barre est haute pour ce visage du sud que la France des années 1980 stigmatise encore au point que sa génération, par milliers, déferle dans tout le pays, la fameuse Marche des Beurs qui donna le slogan Touche pas à mon pote de SOS Racisme. 
Tout en étant écrivain publique dans la rue pour les Maghrébins perdus avec la paperasse française et, le soir, allant écouter Supertramp, il participe de cette activation citoyenne sans religion, succédant à la marche, «où tout le monde cohabitait». Il est une des chevilles ouvrières en 1992 des 24h du hip hop dans la cité du vin. La vie estudiantine et d’éveil le rend un peu épicurien mais il ne s’attèle pas moins à une thèse doctorale qu’il intitule La littérature de l’immigration en France. L’imaginaire comme lieu de la construction d’un espace identitaire.

A sa soutenance de quatre heures en 1999, outre un jury de choix, se déplacent des chercheurs que l’intégration sociétale comme le rôle de l’imaginaire interrogent. 

Aujourd’hui, alors que son parcours professionnel le noue à l’importance du terrain plutôt que de le clouer sur les bancs des exégètes et autres tribuns, il garde l’amour des livres. «Quand un jeune passe par ici, il repart avec un livre.» Les étagères des locaux de Surf Insertion, quartier St Michel à Bordeaux, en sont pleines. Hassan El Houlali nous reçoit sans compter son temps. Il est comme on le connaît, affable et chaleureux, soulevant avec ses phrases qui s’emmêlent à tout vent, ce qui fait la substance de sa pertinence à agir : celle de savoir entrevoir tout ce qui s’immisce chez les uns et les autres et qui fait lien. Même si l’observation du monde peut l’accabler, cet homme a une foi en la nature humaine qui revigore. Il n’a pas crainte de donner de la portée à l’action des petites choses et de fait  » il emballe son monde. Outre de dire que c’est une asso, trop de mots jaillissent pour définir Surf Insertion. Du reste il n’y a qu’à lire sur la devanture des locaux ! 

Mais aussi, last not least, pionnier en la matière Surf Insertion a montré au surf le fait qu’il pouvait donner. Une richesse sociale et altruiste du surf à laquelle ce sport individualiste n’a que trop peu pensé, accaparé par l’égocentrisme de sa pratique ou trop lucide de ses ornières pour s’en défaire. Et pourtant en ce sport qui ne cesse de se plaindre qu’il y a trop de monde, ci-gît la faille salvatrice de l’ouverture qu’il offre, de l’éveil qu’il suscite, de la force qu’il enveloppe auprès de tant qui auraient, de fait, plus d’une raison de se plaindre. Avec Surf Insertion, Hassan El Houlali a creusé un sillon qui donne au surf 25 ans d’une histoire sans pareil. Ça valait bien le retour de lui donner la parole. 

25 ANS DE SURF AUX AUTRES

Par Gibus de Soultrait

GS. 25 ans de Surf Insertion, sacré parcours. Qu’est-ce qui fait la durée de cette action ?

HEH. Je ne sais pas. C’est une école de l’apprentissage et en même temps une école de la vie. Cela repose sur un ensemble d’acteurs qui y croient et qui s’investissent. Je pense aux écoles labellisées qui prennent le temps et ont une démarche attentive avec ce jeune public qui ne connaît pas beaucoup le surf. Au début on ne comptabilisait pas, mais pendant une quinzaine d’années, c’étaient 3000 jeunes qui passaient par Surf  Insertion. Aujourd’hui on est à 4500 et beaucoup sont les jeunes qui reviennent. 

GS. Ils deviennent accros aux vagues ou il y a autre chose ? 

HEH. On a un adage: «Tu prends de la vague mais tu donnes à la nature.» Donc les jeunes des villes et des campagnes découvrent voient que ce n’est pas facile, pour d’autres, l’océan et les vagues les recadrent naturellement. Mais ils se prennent au jeu d’essayer et d’y arriver. Le surf est un cadre de socialisation mais aussi de la valorisation de soi. » Les jeunes viennent s’initier au surf, s’y perfectionner et développer leur esprit de solidarité et leur autonomie : un grand pas dans le sens de leur émancipation. Ils participent aussi à des actions éco-citoyennnes en faveur de l’environnement et sa préservation. On le voit, ils s’y investissent et s’éclatent après dans les vagues. 

GS. Pas le cas de tous les surfeurs ! Comment vous faites pour une telle implication ? 

HEH. On travaille avec les structures sociales, l’Education nationale et les structures spécialisées depuis des années et les sorties régulières avec Surf Insertion sont inscrites dans leur programme. Elles sont devenues un moment de partage qui créent des retrouvailles et de la transmission. Nous, on s’occupe du relais entre ces structures et les surf clubs et les écoles labelisées. On connaît même les jeunes sur deux générations  avec des parents qui sont passés par Surf Insertion et qui amènent leurs enfants. Et donc on prépare en amont les sorties avec eux et les animateurs. Parfois cela se passe aussi de façon plus spontanée. On prend le bus et on se retrouve par exemple à Arès sur le bassin d’Arcachon pour une action éco-citoyenne. Il s’agit de chantiers d’enlèvement d’espèce exotique envahissante comme le baccharis qui prolifère ici. On fait ce travail avec les associations locales de protection de la nature comme l’Office Nationale des Forets ou l’Arpège. Ce sont des moments de convivialité pour les bénévoles des assos. C’est un moment d’échange aussi. Les jeunes sentent qu’ils font un truc utile. Puis, on les emmène surfer au Surf Club de Lège-Cap Ferret (SCP). Ça fait une belle journée. Ça crée du lien et de l’estime de soi. C’est cela le plus important. Du coup, les jeunes adhérent. Il faut comprendre 
que ces gamins sont dans des situations parfois difficiles, qui les déstabilisent, qui peut les fermer sur eux-mêmes. Le lien intergénérationnel et l’écoute mutuelle profitent aux jeunes comme aux bénévoles. 
Tout le monde s’y retrouve. 

GS. Ils ne râlent pas trop, c’est quand même du boulot, dans leur tête ils ne viennent pas forcément pour cela ? 

HEH. Non, parce qu’avec cela il y a tout un travail pédagogique qui est fait par notre animateur nature Benoît ainsi que les bénévoles et les techniciens environnementaux. On leur explique la raison de cette action et ils apprennent et ils s’éveillent à l’environnement. Ils ne sont pas là comme une force de travail qu’on exploite ! Ils enlèvent ces plantes invasives mais ils comprennent pourquoi. Puis ça fait boule de neige, ils rebondissent avec leur question sur ce qu’ils ont sous les yeux. Dans le groupe on trouve quelqu’un pour répondre. Comme ils comprennent ce qu’ils font, ils sont deux fois plus stimulés. Après cette tâche collective, on partage un repas. Un moment qui leur révèle l’importance de ce qu’ils viennent de faire pour l’équilibre naturel du lieu. C’est une véritable ouverture sociale pour eux par la rencontre de bénévoles , de professionnels et la découverte d’activités liées au patrimoine comme l’entretien forestier.

GS. Ok ils ont maillés, ils ont appris, Cela leur donne un peu confiance mais le surf au bout de tout cela ? Ce n’est pas un apprentissage facile. Ils ont encore de l’énergie ? 

HEH. Après le repas qui sert aussi à casser des barrières, on reprend le bus et on trace au club de surf qui nous attend. Sur place, il y a les jeunes surfeurs du coin. Les bénévoles s’associent aux moniteurs pour emmener les gamins surfer. A force de venir, ce petit monde commence à se connaitre, donc ça discute, ça crée du lien et de la mixité. Dans l’eau ça s’éclate, on les entend crier et se marrer. Ceux qui découvrent voient que ce n’est pas facile, pour d’autres, l’océan et les vagues les recadrent naturellement. Mais ils se prennent au jeu d’essayer et d’y arriver. 
Le sport de glisse est un cadre de socialisation mais aussi de la valorisation de soi. Le surf c’est le sport de la réussite parce qu’il faut se mettre debout. Du coup, le surf apporte beaucoup aux gamins en plus de ce contact direct avec la nature, avec l’élément qui les surprend, les sort de leur univers quotidien. L’alchimie de tout cet ensemble constitue l’expérience Surf Insertion. A la fois ça les bouscule et ça les éveille à eux-mêmes et à la nature. Ce sont des sorties qui comptent pour eux. 

GS. Et donc certains d’entre eux, au cours de ces 25 ans, sont devenus surfeurs ? 

HEH. Oui, il y en a quelques-uns. Ce ne sont pas de grands champions. Ils ont leur planche et c’est une activité qu’ils ont gardée en grandissant ou qu’ils ont su transmettre à leurs enfants qu’on retrouve dans nos sorties. C’est viral. Mais aussi, on a des retours de beaux parcours professionnels de jeunes qui affirment que lesurf les a aidés. Il y a à la fois de la persévérance et de la réjouissance dans le surf, ce qui a un impact sur leur construction. Notre rôle c’est de stimuler les qualités de chacun. 
Un jour, je prenais une bière dans un bar, un gars m’accoste assez directement , je ne voyais pas qui il était. Et c’est là qu’il me raconte ses sorties avec Surf Insertion quand il habitait dans un quartier populaire. Puis en grandissant, il a construit sa vie autour du surf en trouvant un boulot et un logement pas loin des vagues. Cela fait plaisir d’entendre cela. On a beaucoup d’anecdotes comme celles-ci. 

GS. Au fil de toutes ces années d’activité à Surf Insertion, dont l’action sociale a été saluée à plus d’un titre politiquement, n’as-tu pas eu envie toi-même de rejoindre le monde politique et t’investir à ce niveau. 

HEH. Oui j’ai été parfois approché pour prendre part à des activités politiques. Quand tu cherches du soutien pour ton action, tu rencontres ce monde et le passage de l’associatif au politique est fréquent. Personnellement je n’ai jamais voulu, car déjà j’aime vivre de façon détendue alors que la politique engage souvent des rapports de forces. Il faut être dur parfois et ce n’est pas ma nature. Et j’ai vu beaucoup d’amis se bruler les ailes, la nécessaire ambition l’emportant sur l’idéal. Mais surtout je crois à l’associatif qui peut faire bouger les choses. En ce sens, j’aime la chose politique. Je suis laïc et démocrate ; j’aime conjuguer le verbe faire avec le terrain. Avec Surf Insertion, je suis en relation tous les jours avec des jeunes, des parents, des moniteurs, à la recherche de financement : en lien avec les collectivités locales.
Je prends connaissance de situations environnementales et sociales concrètes, etc. Il Faut batailler mais c’est riche et j’en tire beaucoup de partage. Pour moi, réussir sa vie, c’est partager. Puis au fond de moi, si je basculais dans le monde politique, je le vivrais mal, ce serait une forme de trahison personnelle. 
Et surtout, je fais de la politique au quotidien, car avec les jeunes on aborde les sujets de société, d’éducation, de citoyenneté, d’environnement, de vivre ensemble… 

GS. Tu as été le premier à percevoir dans le surf l’apport spécifique et réparateur qu’il pouvait avoir pour des individus face à des difficultés de socialisation. Aujourd’hui d’autres vantent et expérimentent ses vertus thérapeutiques. Néanmoins qu’est-ce qui te fait dire cela, que pour ces jeunes une sortie surf ce n’est pas une journée foot ? 

HEH. Outre ce que j’ai dit sur le surf comme réussite de soi, le surf c’est un déplacement qui ouvre à l’ailleurs. Non pas que la journée foot ne soit pas importante, car c’est du partage aussi, mais le terrain de foot, il est à côté. C’est un peu le même univers. Avec Surf Insertion, on emmène des jeunes de milieux urbains mais aussi de milieux ruraux. On les amène en voyage, on les transporte dans un autre paysage. On leur fait vivre un autre univers pour qu’ils le découvrent, l’expérimentent mais aussi pour qu’ils se l’approprient. Dans leur vie, en famille, à l’école, dans la société, certains sont sous l’effet de la verticalité. Ils habitent dans des immeubles et se retrouvent subitement dans un milieu horizontal. On est alors dans l’échange et ils sont plongés dans un environnement qui a son paysage, ses odeurs, sa lumière. Notre travail c’est une découverte de l’Océan en apprenant à prendre des décisions dans un élément qui est en perpétuel changement. Le temps passé sur la planche permet aux novices d’appréhender un peu mieux le géant bleu et de s’apercevoir qu’il est plus fort qu’eux.. Le surf n’est pas seulement une technique, c’est aussi toute une philosophie du rapport à la nature. Le surf c’est une école de l’humilité. 
Du surf, mais aussi de l’action environnementale avec des associations locales brûler les ailes, la nécessaire ambition l’emportant sur l’idéal. Mais surtout, je crois à l’associatif pour faire bouger les choses. En ce sens, j’aime la chose politique. Je suis laïc et démocrate ; j’aime conjuguer le verbe faire avec le terrain. Avec Surf Insertion je suis en relation tous les jours avec des jeunes, des parents, des moniteurs, à la recherche de financement; en lien avec les collectivités locales…

 INTERVIEW de Gibus de Soultrait

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